annie cohen
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Mêlant autobiographie et création, ce nouveau texte d'Annie Cohen adopte les coutures d'un journal ou d'un cahier d'écrivaine. Comme l'indique le titre inspiré du poème de Verlaine, Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore, il s'inscrit d'emblée dans une filiation avec l'errance des poètes, notamment Edmond Jabès. Des fulgurances lyriques, placées sur le chemin de l'écriture comme autant de points d'appui, viennent jalonner le récit enivrant d'un combat au corps à corps avec une maniaco-dépression. En dépit de la douleur, c'est dans ses ressources les plus ineffables que l'autrice va puiser la matière de son texte : l'intense volupté de sa prose se saisit d'un voyage de jeunesse sur l'Île aux femmes, au large du Mexique, ou encore du judaïsme de ses origines, pour recréer l'espace d'une parole poétique libératrice. On y retrouve le lien entre le travail littéraire d'Annie Cohen, son oeuvre artistique de plasticienne, en particulier ses emblématiques « rouleaux d'écriture », que François Mitterrand fut l'un des premiers à acquérir pour sa collection personnelle.
« Je roule sur les mamelons de mousse, je me rapproche du commencement du monde. Je les vénère sur la margelle au bord du Grand Canal. Nos conditions atmosphériques ne permettent pas d'avoir des tapis de mousses, il nous faudrait beaucoup d'humidité comme au Japon. Mais un oeil avisé les surprend près des points d'eau. Douce vie que ces végétaux si anciens qui résistent au béton. » A. C.
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Après douze ans de bons et loyaux services, la vieille alfa romeo a fait son temps.
C'est en la livrant à un garagiste de gentilly que sa propriétaire éprouve l'émotion passée des événements vécus en sa compagnie. tout un pan de vie, avec césar, le compagnon et conducteur, les passagers, gigi, julietta, le chien méthode, les virées en banlieue, de jour comme de nuit ". avec une ironie douce-amère, annie cohen nous offre, à travers les méandres du temps, sa petite musique intérieure, malicieuse et subtile, aux quatre vents de l'exil.
" on le sait maintenant, elle a été sauvée des eaux, l'alfa romeo. ".
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Une femme est allongée sur le sable. Allongée, blanche. Sous l'éclatante lumière solaire. Devant elle, l'informe océanique, anonyme et fécond. Derrière elle, le désert. De ces déserts qui, dans le monde, arrivent au bord de l'océan.
De cette situation territoriale naît l'écriture, sur le sable, images défaites, déconstruites, mouvantes.
Ici, la narration s'efface, s'éclate, se dissout, pour voir le vide creusé par un texte qui coule, insaisissable, mystérieux, impalpable.
Rien d'autre sur la plage qu'une idée du monde, une idée de fécondité et de stérilité intimement mêlées. Une idée de néant blanc, derrière soi, si proche, si près. Mais dans ce désert il existe une plante dont les racines trouvent l'eau à plus de cent mètres de profondeur.
Ainsi l'écriture puise à la source d'une parole souterraine et cachée, la substance unique, tellurique, immatérielle, d'un infini qui impose son ordre au monde.
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Par les mots et les dessins, Annie Cohen tente, comme l'écrit Antonin Artaud, de « refaire corps avec l'os des musiques de l'âme ».
« Elle portait pour le bureau ces sandales orthopédiques, plates et hygiéniques, du docteur Scholl... Elle marchait dans la rue en regardant à terre, perdue dans le décompte des pavés... Elle était toujours légèrement voûtée, les épaules en avant, le corps en dedans. L'idée d'être droite et arrogante ne lui venait jamais spontanément à l'esprit. Son itinéraire était sans surprise. Elle empruntait le soir le chemin du matin. Et elle rentrait vite. » La nuit - cette nuit-là - une femme dans un fauteuil, face aux doubles rideaux tirés. Immobile, figée.
« C'est dans l'immobilité du corps qu'elle parvenait à la plus grande mobilité, à la plus extrême souplesse. Tout va trop vite parfois... » A.C.
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Textes et dessins à l'encre de Chine.
Les quarante dessins à la plume et les textes qui les accompagnent retracent une aventure spirituelle d'une grande pureté. Pris dans un réseau de villes, d'animaux, de visages, d'étoffes, de végétations, de paysages mythiques, l'oeil écoute le long monologue qui jaillit à chaque page comme une flamme ardente et dit l'amour, les peurs, les joies, les hantises, l'aventure de l'espace ciel et de l'espace terre et les gestes de la création dans toute leur plénitude.
« Ce ne sont que des signes dispersés sur des sphères célestes... dans le gris métallisé et rebelle du texte. » A. C.
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Ne trouve-t-on pas naturelle l'idée qu'un peintre campe son chevalet dans le bureau d'un illustre modèle ? Annie Cohen s'est demandé pourquoi ne pas écrire dans d'identiques conditions. Et ainsi a commencé ce livre. Le jour où la première "séance" lui a été accordée par l'homme dont, sans le nommer, elle s'est mise à composer le portrait en clair-obscur.
Ce ne sont pas les déclarations, encore moins les révélations qui hantent ce portrait, mais plutôt les paroles furtives d'un président méditatif, ses interrogations, et surtout les sentiments advenus chez l'écrivain par la distance du pouvoir et la proximité du regard. Entre deux entretiens, Annie Cohen a par ailleurs regardé la France et les Français, observé leurs états d'âme, leurs retournements. Et ainsi, comme dans des tableaux anciens, la figure principale s'est peu à peu détachée sur un arrière-plan multiple.
Livre secret, «l'Histoire d'un portrait», propose une autre manière de regarder, d'entendre et de dire. Loin des rumeurs et des indiscrétions, on vient ici très près d'un homme qui nous gouverne. On y vient par le talent d'un écrivain. -
Avec ce récit profondément incarné, Annie Cohen bouscule les points cardinaux et retrouve sa terre natale.
De ces pages où la langue incorpore la convivialité du Sud, montent les odeurs d'Alger, les couleurs des rues, de la mer et du ciel, la touffeur des après-midi, la musique des fêtes et de l'accent pied-noir, les bonheurs de l'enfance, les premiers émois de l'adolescence.
La rencontre dans les rues de Paris avec le marabout de Blida, instigateur et compagnon de voyage, confident et daïmon, accoucheur de rêves et de souvenirs, ne cède pourtant jamais à la nostalgie.
Car voilà enfin un livre gai, solaire, éblouissant de sensations, un livre de résistance contre les totems et les tabous, les idées reçues et les frontières fermées.
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Rencontré lors d'un colloque, le personnage de Mickaël G., sa voix cassée et son statut de rescapé du ghetto de Varsovie fascinent la secrète Judith, avant de la renvoyer à son seul souci, L'Homme au costume blanc, son livre en cours. Sous forme de quête, un roman qui interroge l'indicible.
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Deux forces dominent ce livre : le sacrifice de la terre à l'hiver proche, de la maison à la solitude, et la puissance d'un amour disparu sur une femme qui redoute l'affadissement du souvenir. Cette femme cherche tout à la fois à échapper et à se raccrocher à la nécessité d'un corps absent qu'elle traque dans l'image de l'amoureux des tarots, des visites aux monuments et de la longue, lente, obsédante traversée du Pont de l'Archevêché.
Elle écoute le bruit des pas de l'aimé qui s'éloigne vers la ville, elle va jusqu'aux étangs où elle fut avec lui. Elle célèbre la permanence de la mémoire dans l'atelier et pour ne pas sombrer au plus profond d'elle-même, décrit sa situation d'abandonnée d'une façon précise et ferme, tout en se livrant au labeur harassant d'assainir le jardin touché par l'automne pourrissant comme si elle préparait un monde à sa mesure, mystique et sensuel.
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Dans Paris, la nuit, une jeune femme dévide une bobine de fil blanc liant ainsi des lieux, des itinéraires, des places, des édifices. Par cette trace laissée sur les trottoirs, Héléna Roujanski entreprend un geste créateur fondé sur l'abandon, l'absence, l'usure, la mémoire, la fable et les mythes. Geste irréel qui la conduit à baliser les avenues et les petites rues. Ses nuits sont éclairées par une lumière intérieure, par une lampe élevée au-dessus de sa tête, elle-même veilleuse vigilante.
« La règle du jeu était claire : les points de la ville reliés les uns aux autres permettaient de coudre les pièces, les morceaux épars d'une histoire qui, sans cela, n'était que ruines, lambeaux ou haillons de passé suspendus... » A.C.
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«On n'écrit pas pareil quand on est orphelin.» La mort de son père inaugure chez Annie Cohen une période de grand trouble. Elle décide de rompre avec sa géographie personnelle et de s'installer définitivement en Corse, en compagnie de Fra, son mari cinéaste, et de Rita, «la plus exquise des petites chiennes». Parenthèse heureuse, vite submergée par la vague de la dépression. Désormais une seule chose l'obsède : «Tout flamber !», «Taper» dans l'héritage de son père pour meubler leur splendide appartement loué sur un coup de tête. «Et mes goûts de luxe ! De folie ! Car nous ne sommes pas allés chez But, Bricorama, Conforama, Leroy Merlin, Géant Casino pour meubler cet appartement ! Non ! Nous avons mis la barre très haut ! Les plus beaux magasins de la ville ! Plus dingue, plus cher, on ne trouve pas ! Un lit capitonné rouge au matelas de rêve, une table et un buffet en céramique noire, folie des folies, hors de prix, un canapé avec méridienne pour richards. Un équipement complet de cuisine, four à pyrolyse, machines à laver le linge et la vaisselle, frigo énorme, et le plus adorable des petits fers à repasser. Je n'avais qu'une seule consigne : prendre tout ce que j'aime, sans aucune restriction. Il aurait fallu une baffe, une gifle pour me faire revenir sur terre. Trop tard. Foutu ! Lâché ! Tout avait lâché !» Le retour en catastrophe à Paris, un passage à Sainte-Anne, la mort de Rita marquent la fin d'un cycle. Dans son théâtre intime, Annie Cohen met en scène de façon saisissante ce voyage au bout de l'addiction. Une «comédie», parfois tragique, souvent irrésistiblement drôle, comme s'il lui avait fallu vivre l'excès pour retrouver l'ascèse de l'écriture.
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«J'ai rêvé de ces dentelles blanches et jaunes quelques mois avant le découpage, sur le haut de mon crâne, d'un dessin dentelé, nécessaire à l'évacuation d'un hématome qui aurait pu avoir ma peau. Tête décapitée. Que m'est-il arrivé ? Que reste-t-il de ma dure-mère ?» Un accident vasculaire cérébral, ça peut arriver à n'importe qui, d'un coup. Comme un grand trou noir. Une atteinte vive à la plus résistante et la plus externe des trois méninges. L'écrivain ressent alors le besoin impérieux de reprendre son histoire au moment où elle est sortie de sa conscience, là où tout a failli basculer dans l'aphasie, la paralysie, la mort. Quelque chose en elle cherche à se reconstruire. Les souvenirs affleurent, d'autres s'abîment, les visages et les lieux redessinent une vie nouvelle. Chaque jour, un pas, un geste, une chose infime. Former des mots les uns sur les autres, pour le seul plaisir et sans autre exigence que celle de dérouler un fil. Se jeter dans l'écriture comme on se jette à l'eau pour renouer avec le cours de la vie, et renaître à soi-même.
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Poème, fugue, cantate, prière, Annie Cohen se livre ici à un exercice d'admiration pour les silenciaires qui accompagnent son oeuvre.
Le moine errant, Benoît Joseph Labre, Augustin Lesage, le peintre médiumnique, Alfred Nakache, le nageur d'Auschwitz, Bram Van Velde, peintre de l'attente, Bambi, la transsexuelle, silenciaire de chair, et, entre tous, Robert de Guelma, le père, devant la dernière porte. Point d'orgue à une oeuvre littéraire et graphique tournée vers l'invisible et le silence, ce texte constitue un paysage intime et exaltant.
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Au cours d'un monologue intérieur, Annie Cohen se livre et revient sur le processus créatif qui a marqué toute sa vie, à la fois pictural et scriptural. Peinture et littérature s'entremêlent dans un geste passionné, véritable pulsion de vie, qui pourrait tenir la mort à distance. La création devient alors éminemment intense, sexuelle, organique. C'est à travers son corps de femme entravé par la maladie qu'Annie Cohen ressent, invente et produit. Différentes thématiques personnelles et artistiques s'interpénètrent afin d'ouvrir une fenêtre sur son intimité profonde et tourmentée. Les souvenirs de jeunesse, l'évocation de sa mère, l'Algérie de son enfance, Paris, se mêlent aux éléments du quotidien de l'autrice, et permettent de mieux comprendre la genèse de ses écrits. La vie est là, toujours, incandescente et inaliénable.
Par son écriture magnifique et singulière, Annie Cohen nous emporte dans un passionnant flux de mots et de pensées.
Une puissante ode à l'existence.
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«J'ai toujours aimé ces musiques de bal musette et de troisième âge que l'on entend les soirs de 14 Juillet sur les places des villes et des villages de France. En Algérie aussi, ce soir-là, des jupes et des jupons tournaient à l'endroit, à l'envers. Rien ne me rappelle autant ma mère que ces tangos de merde et ces pasos dobles stupides qu'elle dansait dans sa tête plus que dans son corps et qui lui déchiraient le coeur, je le sentais bien, pour des raisons mystérieuses et secrètes. Musique douloureuse d'une Espagne perdue, Viva Espana, ou d'une passion perdue, Yo no sé porque te quiero. On avait dansé elle et moi, une fois, sur le tapis de la salle à manger, un tango. C'est moi qui la guidais, fermement. Personne ne nous gênait, ni les enfants ni les petits-enfants. Elle suivait avec souplesse, pas du tout étonnée, sans savoir combien ces quelques pas dans mes bras allaient torturer ma mémoire. On aurait dû passer sa vie à danser, à écouter des tangos. Apprendre à mourir, Bésame, apprendre à vivre, Bésame mucho.»
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La langue blanche des rouleaux d'écriture
Annie Cohen
- Éditions du Rocher
- Esprits Libres Rocher
- 2 Janvier 2003
- 9782268043821
Quand je n'écris pas, je dessine, je fais de longs rouleaux d'écriture, un entassement d'écriture et de mots. Annie Cohen déroule sa proposition à l'envers et donne à ses rouleaux d'écriture un sens accessible à tous, un art poétique taillé dans le vif de l'écriture, une brève méditation sur l'art d'écrire, sur sa manière personnelle d'engager les mots et sa vie dans la littérature. Prière ou murmure, tout ce qui était pesanteur s'allège. Le fleuve abondant des mots débouche sur l'événement un accident cérébral survenu le 12 juin 1999, et l'écoulement poétique se précipite sur un journal de vie qui transforme, transcende l'écriture et la dépose dans l'un de ses sens premiers pour dire la souffrance et l'extrême angoisse d'avoir peut-être perdu le sens : l'écriture. Alors, il s'agit d'une expérience intérieure, mystique et quotidienne qui nous pousse à la joie de voir la vie revivre et à la reconquête.
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Je nage, je nage, comme une alcoolique peut boire, jusqu'à la disparition de ma conscience, de mon identité, de mon tout. Nager, nager pour apprendre à marcher, à vivre, pour retrouver un semblant de dignité, compter les longueurs, aller au-delà de mes forces, chaque jour davantage, tous les jours, et selon une prescription médicale pour tenter de chasser le monstre noir. Apprendre ces mouvements de brasse coulée, le cou allongé sous l'eau, souple pour éliminer les morsures aux épaules, au milieu du dos, et savourer, dans la plus grande solitude, cette tentative de réconciliation avec soi-même. Oui, nager, nager, pour tous les dépressifs, les malades, et pourquoi, et au nom de quoi ? Il faut le faire, ne cherchez pas à comprendre, c'est l'unique solution, aucune autre ! .
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«Je fuis encore devant ces histoires de racines ! Ce qui importe, c'est la plante qu'on devient ! Oui, j'ai tiré un trait sur une histoire somme toute banale pour la Juive que je suis. Je renoue avec un passé ancestral. Ce n'était pas le premier exode, ni peut-être le dernier. Nous arrivions en France, en 1962 comme de nombreux Français d'Algérie. Je me souviens avec force des escaliers mécaniques d'Orly. Paris allait bercer mon coeur, rassasier mon corps troué. J'allais apprendre à oublier l'exubérance, opter corps et âme pour les couleurs d'ombre, sans excès, stables qui, unifiant le paysage, pansaient toutes les blessures, les accidents. Marcher dans des allées bien dessinées, se conformer au décor mis en place de longue date, épouser les monuments. Le paysage nous clouait le bec. L'harmonie générale convenait à merveille aux exilés de la terre. La passion d'un piéton purifie la nuit de tous les cauchemars. Son ombre se profile sur les murs de la ville. L'Histoire parle avec émotion au promeneur solitaire. J'aimais Paris comme on aime sa chance.» Annie Cohen.
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Mademoiselle Clara ; théâtre rêvé
Annie Cohen
- L'HARMATTAN
- Creations Au Feminin
- 20 Novembre 2013
- 9782343021348
Annie Cohen nous fait partager une expérience subtile de dialogue ; les deux personnages, Clara, jeune comédienne, et Madame Caldeira, sa femme de ménage, se transforment en deux modalités de chants pour former une voix double qui nous subjugue. C'est là
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Né Marcus Rotkovitch à Dvinsk dans l'Empire russe, Mark Rothko (1903-1970) émigre à l'âge de dix ans aux États-Unis. Il emporte avec lui son éducation talmudique ainsi que les souvenirs des pogroms et des persécutions de son enfance. Mais l'expérience du déracinement ou les stigmatisations contre lesquelles il dut naviguer dans son pays d'accueil deviennent les moteurs de la subversion esthétique portée dans ses tableaux : dès 1950, il est célébré comme un pionnier de l'abstraction. Mais l'artiste poursuit sa recherche : la Rothko Chapel, inaugurée en 1971 à Houston (Texas) et conçue comme lieu de méditation en prise sur les débats politiques de son temps, reste sans doute son oeuvre la plus aboutie. En nouant des alliances créatives avec artistes, mécènes et commissaires ayant l'immigration en partage, Rothko creuse un sillon cosmopolite dans les États-Unis des sixties aux prises avec leurs propres démons. Annie Cohen-Solal nous donne à voir ici toutes les facettes de cet artiste majeur du XX? siècle qui fut aussi un intellectuel engagé, passionné par la transmission, et dont la dimension spirituelle reste ancrée dans la richesse de sa propre histoire.
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«Je ne suis pas marchand d'art, je suis galeriste» avait coutume de répéter Leo Castelli. Il a régné sur l'art contemporain international pendant plus de quarante ans, au point d'en changer toutes les règles. Après avoir vécu dans de grandes villes d'Europe (Trieste, Vienne, Milan, Budapest, Bucarest et Paris), aux prises avec les convulsions historiques du siècle, ce grand bourgeois dilettante rejoint les États-Unis en 1941, où il ouvre sa propre galerie à New York, en 1957, à l'âge de cinquante ans. Fasciné par les artistes, ses «héros», il découvre les grands Américains des sixties (Jasper Johns, Robert Rauschenberg, Frank Stella, Roy Lichtenstein, Andy Warhol, James Rosenquist), et les mouvements esthétiques (le Pop Art, l'art minimal, l'art conceptuel), qu'il insère dans le cours de l'histoire de l'art. Organisée à l'européenne et gérée à l'américaine, la galerie Castelli invente la première forme de globalisation du marché de l'art et devient une institution incontournable. En quelques années, le galeriste transforme le statut de l'artiste aux États-Unis, assurant à l'art américain, pendant près de quatre décennies, une absolue hégémonie sur la scène internationale. Les consécrations à la Biennale de Venise pour Robert Rauschenberg en 1964, et Jasper Johns en 1988, sont de nouveaux coups de maître pour Castelli, jusqu'à ce que le marché de l'art américain s'emballe dans la fièvre de la montée des prix. Pourtant, derrière la personnalité d'un personnage érudit, affable et médiatique, se cache une histoire beaucoup plus complexe et mystérieuse qu'il ne le laissait paraître. Grâce à de nombreux entretiens réalisés dans le monde entier et à des documents d'archives inédits, Annie Cohen-Solal, biographe de Sartre et auteur de «Un jour ils auront des peintres», nous transporte d'Italie en Hongrie, en Roumanie, en France et aux États-Unis, pour raconter la passionnante trajectoire du galeriste, découvrant que sa fonction ressemblait étrangement à celle de ses propres ancêtres, et de ces agents qui travaillaient auprès des Médicis, dans la Toscane de la Renaissance.
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Pourquoi le 18 juin 1901 Picasso est-il «signalé comme anarchiste» à la Préfecture de police, quinze jours avant sa première exposition parisienne ? Pourquoi le 1er décembre 1914 près de sept cents peintures, dessins et autres oeuvres de sa période cubiste sont-ils séquestrés par le gouvernement français pour une période de près de dix ans ? D'où vient l'absence quasi totale de ses tableaux dans les collections publiques du pays jusqu'en 1947 ? Comment expliquer, enfin, que Picasso ne soit jamais devenu citoyen français ?Si l'oeuvre de l'artiste a suscité expositions, ouvrages et commentaires en progression exponentielle à la hauteur de son immense talent, la situation de Picasso, un «étranger» en France, a paradoxalement été négligée.Cet angle inédit permet à Annie Cohen-Solal de nous entraîner dans une enquête stupéfiante sur les pas d'Un étranger nommé Picasso, artiste surdoué, naviguant en grand stratège dans une France travaillée par ses propres tensions.